In paradisum

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In Paradisum.

Le premier déclencheur de cette série se situe en juillet 2007 lors d’une visite au camp S21 (Cambodge.) Je fus d’abord touché par l’histoire du site qui, à l’origine, était un lieu de culture (un lycée Français). Les salles d’enseignement, d’un jaune vif lumineux, étaient devenues des lieux de torture, d’emprisonnement. Je remarquais le sol, semblable à un échiquier qui me fit penser au livre de Stefan Zweig : le joueur d’échecs. Je trouvais cette analogie évidente : l’histoire de ce joueur qui apprend le jeu seul dans sa cellule pour « s’évader », le dernier écrit de l’auteur qui se suicidera en 1942.

J’appris une autre chose très marquante sur l’histoire de ce camp : toutes les victimes, avant d’être supprimées, étaient soigneusement photographiées ! Il m’était difficile d’envisager que la photographie, médium que je représente, puisse être mêlée à cette histoire sordide ! Sans doute pour compenser cet état, je décidais de construire une autre vérité. Une fois rentré à Paris, j’imaginais les moyens qu’avait un détenu de pouvoir s’échapper. Sur les bases de cette première photo, j’en réalisais une autre qui prendrait l’apparence d’un rêve. Je gardais le sol échiquéen pour l’évidente analogie avec la nouvelle de Zweig et je remplaçais le mur du fond par une de mes images prise dans un aquarium au Portugal : celle d’une raie majestueuse qui semblait fuir dans des cieux aquatiques… Je créais une « scène », la geôle se métamorphosait en salle de cinéma et le symbole de la raie paraissait évident : c’était mon albatros Baudelairien…

Le deuxième déclencheur intervint à la fin de l’année dernière à la lecture de quelques lignes d’André Malraux : « Je cherche la région cruciale de l’âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité ». Cette phrase agit comme un révélateur ; Tel un metteur en scène, les rôles, les lieux, les personnages défilaient dans mon esprit. J’allais entreprendre quelque chose de nouveau : La prison devient un genre de paysage/territoire où le condamné passe acteur. Pour illustrer la phrase de Malraux : La région cruciale de l’âme est incarnée par la prison, la fraternité n’est autre que le prisonnier. Quant au geôlier, c’est le mal absolu.
En somme, il ne reste qu’une seule manière d’échapper à ce funeste destin, c’est le rêve. Projeter sa lumière d’humanité, son désespoir sur ces murs d’infamie. Construire sa « dernière séance », partir loin de l’ultime humiliation avant qu’elle ne vous rattrape réellement ! Personne ne peut empêcher quelqu’un de s’évader par la pensée. En transformant ces chambres de la mort en chambre photographique je souhaite rendre justice à tous ces hommes qui ont projeté leurs dernières lueurs de vie sur les murs marqués. Je souhaite également souligner une vérité que certains oublient : la photographie n’a pas seulement la fonction d’établir un constat comme, par exemple, tirer le portrait de quelqu’un qui va mourir ; elle sert aussi l’imagination.
Enfin, le lien avec le cinéma doit être souligné. Particulièrement avec les cinéastes Ingmar Bergman et Andreï Tarkovski dont l’apparente austérité révèle des trésors lyriques inouïs. Leurs personnages semblent imprégner les décors qui, eux-mêmes, subissent la loi des acteurs. Enfin, la poésie est omniprésente. C’est réellement elle qui procure ce détachement d’avec les sujets graves ; elle qui rend le film de la vie moins dure…

Gilles Desrozier